jeudi 21 mai 2020


A L’HEURE DE L’ABSINTHE

Elle fait désormais partie du mythe de la Belle Epoque ; la boisson des artistes maudits, des poètes en mal d’inspiration. Son surnom a été donné par Oscar Wilde « the green fairy » (la fée verte).
Et pourtant… Sous le Second Empire, l’absinthe était la boisson préférée de la bourgeoisie. Mais son prix ne cessant de chuter et sa fabrication perdant en qualité, elle devint rapidement « la » boisson la plus servie dans les estaminets et cabarets des quartiers Bohème : Montmartre, Batignolles… Bref, c’est la boisson des artistes : peintres, écrivains se retrouvent à partir de 17 h dans les cafés de Paris pour honorer comme il se doit cette boisson : c’est l’heure verte.

Charles Cros, qui disait-on, buvait 20 verres d’absinthe d’affilée par nuit écrit :

« Comme bercée en un hamac,
La pensée oscille et tournoie,
A cette heure ou tout estomac
Dans un flot d’absinthe se noie, … »

Comment ne pas avoir une pensée pour Henri de Toulouse-Lautrec, qui dans le bas Montmartre, serrant d’une main la taille d’une prostituée et de l’autre son verre d’absinthe, tentait d’oublier, grâce à cette muse aux yeux verts, son handicap physique et le bannissement familial causé par celui-ci ?

Impossible de ne pas parler de Vincent Van Gogh, dont le diagnostic est lié selon certains médecins à l’excès d’absinthe : plante contenant des tuyones dont le taux élevé rendait fou, disait-on. N’était-ce pas plutôt le degré d’alcool particulièrement élevé à cette époque (entre 68 et 72° C) et la quantité chaque jour ingérée qui provoquait la « folie » dont on accusait cette boisson ?

En 1915, l’absinthe est donc interdite en France. Mais après la première guerre mondiale, les boissons anisées seront de nouveau autorisées, à condition :
-       De ne pas dépasser 30°C
-       Et d’avoir une couleur différente de celle de l’absinthe
Le pastis ne devait produire qu’un léger « louchissement », un petit trouble quoi !

En 1922, le degré d’alcool légal est porté à 40°C, ce qui arrange les affaires d’un jeune homme pressé de 23 ans, ancien élève des Beaux Arts de Marseille qui élabore en 1932 une formule macérée à base d’anis étoilé, d’anis vert et de réglisse… On connaît la suite de l’histoire.

Pour revenir à un propos plus artistique ( !), les peintres ont montré avec réalisme ces buveurs d’absinthe : Manet ou Degas


Le Buveur d'absinthe — WikipédiaA gauche :
L'Absinthe — WikipédiaLe buveur d'absinthe 
Edouard Manet - 1859 
Ny Carlsberg Glypotek

A droite : 
L'absinthe - Edgar Degas
1876 - Musée d'Orsay

            Rien de réjouissant dans ces tableaux.
Edgar Degas a peint son tableau au Café de la Nouvelle Athènes situé 9 place Pigalle où il rencontrait parfois Manet.
L’effet d’instantanéïté est saisissant ; la rivalité avec la photo est flagrante (la main et la pipe de l’homme accentuent cet effet). La tristesse et la solitude de la femme nous touchent. On se sent en empathie avec elle.

Au XXIè siècle, l’absinthe est de nouveau autorisée. Le degré d’alcool est moindre. La belle couleur verte est revenue. Le vert de l’espoir ? Certainement, si on la boit à deux !
L’absinthe est-elle toujours amère ? Faut-il sacrifier au rite de la cuillère et du morceau de sucre pour la boire ? Tout dépend des goûts !
Mais justement quel goût peut avoir une absinthe bue 24 heures après avoir été servie ? Le goût des regrets de l'avoir désirée a répondu le buveur. Le gout de l'amertume et d'une infinie tristesse pensera celle qui l'a préparée et qui ne l'a même pas goûtée... L'absinthe rend poétique !!