jeudi 21 mai 2020


A L’HEURE DE L’ABSINTHE

Elle fait désormais partie du mythe de la Belle Epoque ; la boisson des artistes maudits, des poètes en mal d’inspiration. Son surnom a été donné par Oscar Wilde « the green fairy » (la fée verte).
Et pourtant… Sous le Second Empire, l’absinthe était la boisson préférée de la bourgeoisie. Mais son prix ne cessant de chuter et sa fabrication perdant en qualité, elle devint rapidement « la » boisson la plus servie dans les estaminets et cabarets des quartiers Bohème : Montmartre, Batignolles… Bref, c’est la boisson des artistes : peintres, écrivains se retrouvent à partir de 17 h dans les cafés de Paris pour honorer comme il se doit cette boisson : c’est l’heure verte.

Charles Cros, qui disait-on, buvait 20 verres d’absinthe d’affilée par nuit écrit :

« Comme bercée en un hamac,
La pensée oscille et tournoie,
A cette heure ou tout estomac
Dans un flot d’absinthe se noie, … »

Comment ne pas avoir une pensée pour Henri de Toulouse-Lautrec, qui dans le bas Montmartre, serrant d’une main la taille d’une prostituée et de l’autre son verre d’absinthe, tentait d’oublier, grâce à cette muse aux yeux verts, son handicap physique et le bannissement familial causé par celui-ci ?

Impossible de ne pas parler de Vincent Van Gogh, dont le diagnostic est lié selon certains médecins à l’excès d’absinthe : plante contenant des tuyones dont le taux élevé rendait fou, disait-on. N’était-ce pas plutôt le degré d’alcool particulièrement élevé à cette époque (entre 68 et 72° C) et la quantité chaque jour ingérée qui provoquait la « folie » dont on accusait cette boisson ?

En 1915, l’absinthe est donc interdite en France. Mais après la première guerre mondiale, les boissons anisées seront de nouveau autorisées, à condition :
-       De ne pas dépasser 30°C
-       Et d’avoir une couleur différente de celle de l’absinthe
Le pastis ne devait produire qu’un léger « louchissement », un petit trouble quoi !

En 1922, le degré d’alcool légal est porté à 40°C, ce qui arrange les affaires d’un jeune homme pressé de 23 ans, ancien élève des Beaux Arts de Marseille qui élabore en 1932 une formule macérée à base d’anis étoilé, d’anis vert et de réglisse… On connaît la suite de l’histoire.

Pour revenir à un propos plus artistique ( !), les peintres ont montré avec réalisme ces buveurs d’absinthe : Manet ou Degas


Le Buveur d'absinthe — WikipédiaA gauche :
L'Absinthe — WikipédiaLe buveur d'absinthe 
Edouard Manet - 1859 
Ny Carlsberg Glypotek

A droite : 
L'absinthe - Edgar Degas
1876 - Musée d'Orsay

            Rien de réjouissant dans ces tableaux.
Edgar Degas a peint son tableau au Café de la Nouvelle Athènes situé 9 place Pigalle où il rencontrait parfois Manet.
L’effet d’instantanéïté est saisissant ; la rivalité avec la photo est flagrante (la main et la pipe de l’homme accentuent cet effet). La tristesse et la solitude de la femme nous touchent. On se sent en empathie avec elle.

Au XXIè siècle, l’absinthe est de nouveau autorisée. Le degré d’alcool est moindre. La belle couleur verte est revenue. Le vert de l’espoir ? Certainement, si on la boit à deux !
L’absinthe est-elle toujours amère ? Faut-il sacrifier au rite de la cuillère et du morceau de sucre pour la boire ? Tout dépend des goûts !
Mais justement quel goût peut avoir une absinthe bue 24 heures après avoir été servie ? Le goût des regrets de l'avoir désirée a répondu le buveur. Le gout de l'amertume et d'une infinie tristesse pensera celle qui l'a préparée et qui ne l'a même pas goûtée... L'absinthe rend poétique !!



lundi 2 avril 2018



FOUJITA AU MUSEE MAILLOL

Tsuguharu Fujita (ou Foujita) a fasciné tous les artistes que l’on englobe aujourd’hui sous le nom d’Ecole de Paris.
Et, accessoirement, m’a fasciné quand je l’ai « rencontré » au Musée Maillol à l’occasion de l’exposition qui lui est consacré.


Lorsqu’il arrive en 1913 à Paris, à l’âge de 27 ans, le jeune Tsuguharu réalise enfin son rêve : rejoindre Paris, la capitale des arts ! C’est tout naturellement à Montparnasse qu’il choisit de s’installer. Le lendemain de son arrivée, il est abordé dans la rue par le peintre chilien Manuel Ortiz de Zarate qui l’entraîne dans l’atelier de Picasso ; l’œil de Foujita est attiré non pas par les compositions de l’espagnol mais par la figuration naïve du Douanier Rousseau (Picasso, grand ami du Douanier, conserve plusieurs de ses toiles dans son atelier).
Alors que l’Occident artistique cherche à casser les codes, Fujita n’est arrivé en France que pour se mettre dans les pas des maîtres classiques qu’il ne connait que par l’étude. Il prend une carte de copiste au Louvre et passe de longues heures à regarder, scruter, s’approprier cette peinture classique désormais rejetée par tous.

Mais Foujita n’est pas un « pasticheur ». Il réussit une synthèse parfaite entre Orient et Occident : certes le dessin, si cher aux artistes académiques prévaut dans sa peinture ; et la figuration est de mise. Mais son japonisme ressort lorsqu’on étudie ses perspectives, son utilisation de la couleur (en aplat), ou certains détails s’attachant à nous montrer de manière symbolique le yin et le yang.

Image associée

Dans la peinture occidentale, le nu est un sujet classique. Foujita semble le réinventer tant sa technique est novatrice. Sur la toile préparée et couverte d’une couche de peinture à l’huile, Foujita utilise des couleurs à l’eau. Comment fait-il pour que ces deux médiums accrochent et se mêlent aussi intimement. Nous ne le savons pas. La technique de Foujita est secrète. Nous savons juste qu’il mêle aux pigments habituels, des matières minérales telles que le talc. Tout cela crée une peinture d’une grande sensualité où la femme (ses femmes) est magnifiée. Où la carnation d’une blancheur de neige (youki en japonais, surnom qu’il donne à sa deuxième épouse) est si soigneusement représentée qu’elle semble à la fois irréelle et palpitante de vie.


Au musée Maillol, la salle consacrée aux nus est d’une beauté époustouflante. On est subjugué par la présence de ses femmes qui s’offrent aux regards et qui irradient.

Résultat de recherche d'images pour "foujita nus"

Mais Foujita, c’est aussi un look ! Un look travaillé et qu’on n’oublie pas. Tsuguharu sait y faire en matière de communication ! La frange est peut-être reprise des paysans russes bolchéviques ; les lunettes rondes ; les vêtements (dont certains étaient tissés et cousus par lui) font qu’il devient rapidement une image iconique, dessinée et caricaturée.

Au musée Maillol, Foujita, peintre emblématique du Montparnasse des années folles, personnage terriblement attachant nous ouvre  les portes de son monde intérieur : un monde où la création est multiple mais toujours cohérente avec le personnage qui la porte. C’est pour cela que vous serez forcément touché par cette exposition. Une des meilleures de la saison…

Exposition Foujita au Musée Maillol du 7 mars au 15 juillet 2018  61 rue de Grenelle Paris 7è -  www.museemaillol.com/  
Pour en savoir plus : www.fondation-foujita.org/

dimanche 12 novembre 2017



LE LOUVRE REVISITE

Parce que vous êtes allés au Louvre il y a 10, 15, ou 20 ans, vous pensez qu'il n'est plus nécessaire d'y remettre les pieds...
Parce qu'on vous rebat les oreilles avec les chiffres faramineux de la fréquentation, vous jugez inutile une visite au milieu de cette masse de touristes qui ne cherche qu'à se faire prendre en photo devant la Joconde...
Parce que le nom même "musée du Louvre" est synonyme de grandiose et de démesure (près de 35 000 oeuvres exposées ; 14 km de galeries ...), vous imaginez que la montagne sera trop difficile à gravir...

Oubliez tout cela, au moins le temps de la lecture de cet article... Le Louvre peut vous offrir bien d'autres choses que ces clichés.


Projet d'aménagement de la Grande Galerie - 1796 - H. Robert
L'hiver arrivant, la foule compacte des touristes va s'amenuiser et les mois qui viennent vont vous permettre de redécouvrir avec gourmandise ce musée. 
En été aussi d'ailleurs, certaines heures sont propices à une flânerie savante voire relaxante à l'intérieur de l'ancien palais des rois : les nocturnes des mercredis et vendredis offrent ces douces récréations. 



Le musée du Louvre se compare à un dictionnaire. Auriez vous l'idée de lire, de la lettre A à la lettre Z, les définitions de tous les mots répertoriés ? Non ! Au Louvre, c'est pareil ! On choisit son programme, son département, ses oeuvres de prédilection. On essaie que celles-ci soient géographiquement proches. 
Et surtout on ralentit le rythme ... Le Louvre est fait pour être vu et revu ; on doit le déguster, l'apprécier, le savourer. La visite ne doit pas être un marathon culturel mais un moment de plaisir.

Et puis, il faut savoir sortir des "marronniers" de l'histoire de l'art : à bas la chronologie, les écoles, les mouvements... 
Lion - Mari
Concentrez vous sur des thèmes ludiques mais instructifs ; drôles mais riches de sens. Quelques idées ? La gastronomie (l'occasion de revoir les superbes natures mortes du nord de l'Europe) ; la mode (les portraits d'apparat s'y prêtent admirablement)  ; ou bien encore une révision de la mythologie (les amours et trahisons des dieux ont été un sujet de prédilection pendant de longs siècles)... A moins que vous ne soyez tentés par les étranges créatures qui peuplent les galeries de ce musée : Centaures, satyres, taureaux androcéphales et autres bêtes féroces ne doivent pas vous effrayer... En général, elles sont même là pour vous protéger ! 

Et permettez moi de m'imposer à vous ! S'il y a bien un lieu où un guide peut être utile, c'est au Louvre ! Dans cet espace labyrinthique, mes confrères ou moi-même vous aideront à rester dans le droit chemin ! 

Alors n'hésitez plus et reprenez avec envie le chemin du plus grand musée du monde !

Site officiel : www.louvre.fr/ - Le musée est fermé tous les mardis.

dimanche 16 juillet 2017

UNE PENSEE POUR FREDERIC



J’ai toujours regardé avec envie les tableaux de Frédéric Bazille que possède le musée d’Orsay : mon préféré montre une réunion de famille, où sur la terrasse de la maison, les parents du peintre posent paisiblement pour la postérité… En regardant ces tableaux, il me vient l’envie de les rejoindre, pour m’introduire dans leur conversation et participer à ces éternelles collations…

J’ai donc été tout de suite enthousiasmée à l’idée de présenter l’exposition monographique organisée par le musée d’Orsay il y a quelques mois.
Grand bien m’en a pris ! Je ne connaissais que très superficiellement Frédéric Bazille ; et ce que j’ai découvert m’a émue et m’a fait redécouvrir son œuvre sous un autre angle.

Frédéric Bazille, Réunion de famille, terrasse à Méric, 1867-1868. Huile sur toile, 152 x 230 cm. Paris, musée d'Orsay Paris, acquis avec la participation de Marc Bazille, frère de l'artiste, 1905. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski/ Service presse/musée d’Orsay.
Réunion de famille, terrasse à Méric, 1867 - 1868. Huile sur toile, 152 X 230 cm. 
Paris, musée d'Orsay
Car, au fond, que sait-on de lui ? qu’il a peint de jolis tableaux baignant dans une chaude lumière provençale ; qu’il a été un ami de Monet (qui le « tapait » régulièrement au début de sa carrière !) ; qu’il est mort à l’âge de 29 ans pendant la guerre franco-prussienne.
C’est à peu près tout. Je me suis contentée de ces quelques bribes biographiques pendant longtemps.

Grâce à cette exposition, j’ai découvert que Bazille était d’abord destiné à être médecin ; il commence à Montpellier ses études de médecine avant d’obtenir l’autorisation de ses parents de les poursuivre à Paris. Ce transfert lui permet en réalité de commencer un « double cursus » : il entre dans l’atelier de Gleyre et finira par abandonner la médecine pour se concentrer uniquement à la peinture. C’est donc là qu’il rencontre Monet, Renoir, … toute cette jeune génération que nous connaissons sous le nom d’impressionnistes.
Paris est le cœur de la bohème… Tous les artistes se côtoient quelque soit leur domaine de prédilection… La rencontre avec Edmond Maître, pianiste, sera capitale pour Frédéric Bazille.


Bazille, Frédéric ~ Summer Scene, 1869, Oil on canvas Fogg Art Museum, Cambridge, Massachusetts.jpg
Scène d'été 1869, Huile sur toile
Fogg Art Museum, Cambridge, Massachusetts


Cette exposition montre également une face largement méconnue de l’œuvre du peintre. Il n’y a pas que des tableaux pré-impressionnistes chez cet artiste. Son intérêt s’est porté sur tous les genres : natures mortes (superbes bouquets de fleurs), portraits, et un dernier tableau inspiré de la Bible. L’on sait également que le peintre inscrivit sur son livret militaire qu’il était peintre d’histoire.
Quelle drôle d’idée ! Cela pose une question essentielle : Bazille aurait-il été impressionniste s’il avait survécu à la guerre franco-prussienne ?
Doit-on y voir une envie de rentrer dans le rang ? Après tout, la famille lui avait accordé le droit d’arrêter ses études de médecine pour être peintre … Mais peintre d’histoire dans les années 1860 était plus acceptable que barbouilleur de paysages hostile à l’Académie (ainsi étaient perçus les futurs impressionnistes).
Lui qui se sentait terriblement à part, ne voulait-il pas au moins professionnellement parlant plaire à ses parents ?

Car la vie personnelle de Bazille est restée longtemps un mystère ; la bonne société du XIXè siècle (puis celle du XXè…) refusant d’ouvrir les yeux sur les préférences de ce jeune homme.
La famille mise au courant a dû protester ; vouloir le ramener dans le droit chemin…
Frédéric a voulu prouver qu’il était un « homme » ; un homme, ça fait la guerre… Comment expliquer autrement le fait que ce peintre pacifiste ait soudain eu une idée et une seule en tête, s’enrôler dans l’armée française pour combattre le prussien ? Et ce, malgré un élan de générosité du père qui était prêt à payer un remplaçant à son fils comme cela se faisait régulièrement à l’époque ?

Et comment ne pas comprendre dans la douleur folle du père en apprenant le décès de son fils, cet affreux sentiment de culpabilité qui ronge inlassablement ceux qui en sont atteints…


Musée d'Orsay - 1, rue de la Légion d'Honneur - Paris 7è - www.musee-orsay.fr

lundi 19 septembre 2016

AU THEATRE CE SOIR 

On vient aussi à Paris, la ville lumière pour "aller au spectacle".

Entrer dans un théâtre, c'est passer une porte spatio-temporelle. On quitte son quotidien, la grisaille de la ville, la monotonie de la vie pour voir et écouter une histoire. Et comme lorsqu'on était petit, si l'histoire est bien racontée, on se laisse emmener avec la certitude de franchir de nouvelles frontières.

Vaudevillesque, dramatique, instructif, le spectacle nous fait oublier qui nous sommes... A moins que toute notre vie ne soit qu'un spectacle parfois mal joué et combinant tous les genres de la comédie légère au drame.


"Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. 
Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles."
W. Shakespeare 


Le lieu même avec ses codes immuables semble avoir été conçu pour nous protéger : fauteuils confortables, murs tapissés de velours rouge depuis Charles Garnier... Bien au chaud (parfois trop au chaud !), nous nous laissons emporter vers un autre monde.


Grand Escalier de l'Opéra Garnier




Vous pouvez en apprendre plus sur ce monde onirique en vous promenant en ma compagnie, de la Comédie Française aux grands boulevards. Et même s'il n'est pas possible d'entrer dans ces lieux "habités", les nombreuses petites histoires de ce monde si particulier vous permettront de vous offrir une mise en bouche avant, -qui sait ?- que vous ne deveniez "spectateur".





Mais savez-vous que de nombreuses expressions de notre langue dérivent du théâtre ? Un simple exemple : le jeu en vaut-il la chandelle ?
Jusqu'au XVIIIè siècle, les théâtres et opéras étaient éclairés à la bougie. La durée de la pièce devait correspondre à celle de la bougie. Il fallait une quantité considérable de chandelles chaque soir. Une somme colossale à l'époque ! Il était alors important d'évaluer les bénéfices pouvant être rapportés par la représentation afin de choisir si l'enjeu en valait la peine.

Les comédiens sont de grands superstitieux : ainsi, ne dit-on pas que le fait d'offrir un bouquet d'oeillets porte malheur au théâtre ?
Cette croyance remonte au XIXè siècle, du temps où les actrices signaient des contrats ponctuels. Lorsqu'un directeur d'établissement voulait signifier à une actrice qu'elle était renouvelée, il lui livrait des roses. Mais si elle était remerciée, elle recevait un bouquet d'oeillets, les fleurs les moins onéreuses de l'époque.

Pour en savoir plus, et décrypter d'autres expressions, n'hésitez pas à me rejoindre au cours d'une de ces promenades ou venez voir un grand classique auquel j'ai la chance de participer : la Dame de chez Maxim de G. Feydeau* !

*à l'ABC Théâtre - 14, rue de Thionville - Paris 19è - A l'affiche jusque fin décembre  Réservation sur place ou sur Billetreduc.
http://abc-theatre.e-monsite.com/
http://www.billetreduc.com/168119/evt.htm



dimanche 13 mars 2016

RETOUR AUX SOURCES !

J'habite depuis plus de 20 ans le bas de la butte Montmartre...

Qu'on soit parisien, provincial ou étranger, la réaction à l'écoute de cette phrase est toujours la même : aaaahhh Montmartre !!!

Voilà un nom évocateur ... Montmartre, c'est l'image du Paris perdu (pour ne pas dire du Paradis perdu !) ; un Paris-village où tout le monde se connaît ; où le rythme de vie est différent des arrondissements du coeur de la capitale ; un quartier, qui même s'il fait officiellement partie de Paris depuis 1860, semble encore de la bouche même de ses habitants, indépendant. On vous le précise : on habite Montmartre mais pour des raisons indépendantes de sa volonté, on descend à Paris...

Alors, voici en cinq mots-clés une évocation de ce quartier qui fait encore tant rêver...



BISTROT
Selon la légende, ce mot a été créé sur la Butte.
En 1814, les cosaques envahissent Paris ; gagnent le sommet de la Butte (le point naturel le plus haut de Paris avec ses 130 m d'altitude !) pour surveiller les mouvements de troupes dans la capitale. Avisant le restaurant de la Mère Catherine, ils entrent et crient : "Bistro" (mot signifiant "vite" en russe). Le terme est désormais appliqué à tous les endroits où l'on peut se restaurer rapidement.
Mythe ou réalité ? Qui pourrait le certifier ? Une plaque rappelant cette "création" a été en tous cas fièrement apposée sur la devanture du restaurant la Mère Catherine situé place du Tertre.

PICOLER
Ce terme, si couramment employé, est né lui aussi à Montmartre.
Dès le Xè siècle, est attestée la présence d'une vigne sur les côteaux nord de Paris. La création de l'abbaye bénédictine des Dames de Montmartre par Louis VI le Gros et Adélaïde de Savoie va multiplier les arpents d'un vignoble à la qualité très hétérogène ! Le nom des vins produits est suffisamment évocateur : vin de Sacalie (comprendre sac à lie, produit à l'emplacement des escaliers de la basilique du Sacré-Coeur) ou au contraire appellation de la Goutte d'Or (produit dans l'actuel quartier éponyme)... 
Ces différentes appellations furent regroupées sous le nom de "Picolo" qui a donc donné le verbe picoler.
De manière générale, le vin de Montmartre n'a jamais eu bonne presse. Il suffit de citer ce fameux dicton pour s'en convaincre : 

"C'est du vin de Montmartre. Qui en boit pinte en pisse quarte". Il faut savoir qu'une pinte équivaut à 93 centilitres et une quarte à 67 litres !!!


Changeons de thématique et trouvons vite un mot évoquant un autre registre avant que vous ne pensiez que je suis la plus grande picoleuse de Montmartre !!!

POULBOT
Natif de Saint-Denis, Francisque Poulbot était un dessinateur-affichiste installé à Montmartre peu avant le début de la première guerre mondiale. Très attaché à la vie de son quartier, il participe à la création de la République de Montmartre en 1920 - 1921 et crée en 1923 un dispensaire pour les enfants. Montmartre est, à cette époque, un quartier pauvre. Les enfants sont souvent livrés à eux-mêmes. Poulbot se fait complice de leur quotidien en les dessinant avec beaucoup de tendresse.
Son nom est désormais attribué aux enfants de la Butte (à Paris, on parle des titis ; à Montmartre, des Poulbots). 
Les cartes postales, posters et affiches représentant des enfants aux grands yeux bleus écarquillés, que vous trouverez aujourd'hui dans les boutiques de souvenirs, ne sont cependant pas de Poulbot mais de Michel Thomas, dessinateur qui dans les années 70 a repris le thème des enfants de Paris toujours prêts à faire les 400 coups...

LA BOHEME
Impossible d'évoquer Montmartre sans parler de ses artistes. Ils choisissent ce quartier aux alentours des années 1860, parce que "le vin y est moins cher et les filles plus faciles". Le Bateau-Lavoir situé place Emile Goudeau les accueillera à partir de 1890. Leur souvenir attire encore aujourd'hui la foule des visiteurs qui cherche à retrouver place du Tertre ou aux environs l'atmosphère "bohème" si bien décrite par Charles Aznavour :

Montmartre en ce temps-là 
Accrochait ses lilas 
Jusque sous nos fenêtres 
Et si l'humble garni
Qui nous servait de nid
Ne payait pas de mine
C’est là qu'on s'est connu
Moi qui criais famine
Et toi qui posais nue
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On est heureux
La bohème, la bohème
Nous ne mangions qu'un jour sur deux.

MOULINS
Et comment ne pas terminer cet exercice en parlant des moulins à vent de la Butte ? Ils étaient une quinzaine jusqu'à la Révolution Française. Il en reste deux, très restaurés, rue Lepic. L'un abrite aujourd'hui un restaurant ; l'autre est une propriété privée. Mais leur silhouette haute et légèrement dégingandée nous ramène inéluctablement vers ce passé champêtre qui a fait les douces heures de la Butte.
Ces moulins étaient utilisés pour moudre des céréales ou des matériaux. L'industrialisation du début du XIXè siècle a provoqué l'abandon des moulins et leur transformation en guinguette : lieu où les parisiens de toutes origines venaient danser et ... boire le guinguet (le petit vin sans prétention des alentours de Paris).

Décidément, à Montmartre, on est souvent le verre à la main !! Tout cela me donne envie de joindre le geste à la parole ... Je vous laisse donc pour aller boire un verre à votre santé !

lundi 23 mars 2015

C'EST L'HEURE DU BAIN !

Le véritable printemps est arrivé mais le ciel est à nouveau gris. Je redeviens donc "rat de musée" le temps d'une exposition consacrée à la Toilette.

Le musée Marmottan s'intéresse jusqu'au mois de juillet* aux manières de propreté et à la naissance de l'intime.
Mais d'abord que signifie le mot "toilette" ? Il est devenu désuet. L'expression "faire sa toilette" est de nos jours peu employée et on lui préfère des expressions plus parlantes telles que "prendre une douche ou un bain".
Au début du XVIIè siècle, la toilette est le linge ou la dentelle que l'on déplie sur la table (on ne parle pas encore de coiffeuse) où l'on va poser les accessoires nécessaires à la mise en beauté.
En revanche, à la fin du XVIIè siècle, le mot "toilette" désigne le rite qui consiste à changer de vêtement :

"Une bonne chemise de toile changée tous les jours vaut, à mon avis, le bain quotidien des Romains"
Martin Lister, voyageur - 1698.

Cette phrase laissant forcément perplexe l'homme du XXIè siècle induit une autre question fondamentale : La toilette sous-entend-elle l'usage de l'eau ?

Au Moyen Age et à la Renaissance, le bain est un rituel : la tapisserie datant des environs de 1500, pièce de la tenture de la Vie Seigneuriale nous montre une dame au corps idéalisé couvert d'un voile transparent et parée de bijoux. Elle est entourée de musiciens et de servantes.
Les célèbres "Dames au bain" de la Renaissance évoquent le bain pris au lendemain des relevailles. Rite de purification, cérémonie, il n'est pas lié au quotidien et à la nécessité d'être propre.
D'ailleurs, les images présentées ne nous montrent en aucun cas des dames en train de se laver, se frotter ou se frictionner.

Au XVIIè siècle, la "toilette sèche" est de rigueur : frotter son corps avec un linge humide et surtout, comme nous le citions plus haut, changer de vêtement, sont suffisants au maintien de la propreté. L'eau fait peur : on est persuadé que les épidémies des siècles passés ont eu l'eau pour vecteur. On ne va donc quand même pas risquer la mort en se baignant !!!

Ce n'est qu'au XVIIIè siècle que l'eau est à nouveau utilisée. Les scènes de genre montrant des femmes au bain en font état : La jeune femme à la toilette peinte par François Eisen en 1742 nous montre une servante remplissant d'eau chaude un bidet (celui-ci vient à peine d'être inventé) : outre sa fonction hygiénique, il sert également de contraceptif : on imagine aisément le taux de fiabilité !
François Boucher nous a laissés une série de petits tableaux nous permettant de pénétrer l'intimité des femmes de l'aristocratie ; ces tableaux fonctionnaient par paires et étaient accrochés l'un sur l'autre (par exemple : la gimblette et l'oeil indiscret). On ne dévoilait le tableau du dessous qu'aux amis et relations proches. Le format ovale, fait penser à un trou de serrure et relègue celui qui est invité à regarder au rang de voyeur. Précisons que ces tableaux représentant des femmes à leur toilette étaient faits pour être montrés à des hommes !










A gauche : en haut : L'enfant gâté ; en bas : La jupe relevée - F. Boucher - 1742
A droite : en haut : La gimblette ; en bas : L'oeil indiscret ou la femme qui pisse - F. Boucher - 1742








La présence des domestiques dans ces différentes scènes nous fait comprendre que le bain est donc public : dames d'honneur ou de compagnie, artistes (musiciens, peintres -pour réaliser ces tableaux, l'artiste n'était-il pas présent lors de ces préparatifs ?-) et servantes sont systématiquement représentés.

Ce n'est qu'au XIXè siècle que sera créée une pièce qui ne servira qu'au maintien de la propreté ; pièce dans laquelle on voit les femmes s'enfermer et laisser leurs domestiques à l'extérieur.
Si l'on souhaite dans un premier temps, simplement montrer cette révolution de moeurs, en insistant par exemple, sur le marbre dont on tapisse les salles de bain afin de les rendre parfaitement hygiéniques, et sur le porte savon et le savon, accessoires désormais indispensables, les peintres de la modernité (Degas, Toulouse-Lautrec, et même Bonnard) iront plus loin en cherchant à percer le secret de cet espace intime. Ceci explique des compositions inédites, des vues en plongée sur le corps de femmes enjambant une baignoire ou relevant une jambe pour s'essuyer les pieds. On devine un entre-jambes ; on imagine le bruissement de la serviette frottée sur un corps encore humide. L'intimité dévoilée par ces peintres est réaliste et sensuelle.

L'exposition nous conduit jusqu'au XXè siècle où la toilette est liée à la mise en beauté : sont présentes dans l'exposition des affiches de campagne publicitaire. Les cosmétiques qu'on va très vite rebaptiser "produits de beauté" entrent dans le cercle intime de la femme. La salle de bains se garnit de ces pots de crème et bâtons de rouge qui deviennent l'apanage de la féminité.
La boucle est bouclée : le parcours de l'exposition s'achève sur une sérigraphie sur toile de A. Jacquet nommé "Gaby d'Estrées" et datant de 1965 : citation du célèbre tableau du Louvre représentant Gabrielle d'Estrées et la duchesse de Villars.

Jetez vous à l'eau et allez voir cette exposition pédagogique et ludique !


*Exposition "La Toilette - Naissance de l'intime" au musée Marmottan - 2 rue Louis Boilly - 75 016 PARIS - Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h sauf le lundi. L'exposition se termine le 5 juillet 2015.
Plein tarif : 11 €.


www.marmottan.fr